Introduction
Les microorganismes exigent de l’eau, une source d’énergie, de l’azote, des sels minéraux, éventuellement de l’oxygène et/ou des facteurs de croissance pour leur développement. Ainsi, les aliments se présentent comme un milieu favorable pour le développement des germes microbiens.
Cependant, malgré la présence de nutriments, le développement des microorganismes se trouve contrarié par d’autres paramètres qui sont liés d’une part, aux caractéristiques physico-chimiques de l’aliment (pH, aw, potentiel d’oxydo-réduction, etc.) et d’autre part, à l’environnement du produit (Température, humidité, radiations électromagnétiques, etc.). Ces paramètres ont un effet sélectif sur la flore microbienne d’un aliment ; ils favorisent ou inhibent le développement de tels ou tels microorganismes.
Afin de maîtriser la qualité microbiologique des aliments, il est nécessaire de connaître l’effet de chaque paramètre sur le développement des microorganismes, mais aussi l’effet des interactions qui peuvent exister entre les différents paramètres.
Table of Contents
Effet de la structure des produits alimentaires sur le développement des microorganismes
Les produits alimentaires non transformés sont souvent protégés du milieu extérieur par des enveloppes (téguments, peau, coquille, etc.) qui constituent une barrière naturelle à la pénétration des microorganismes.
Suite aux opérations de récolte, stockage et transformation des produits alimentaires frais (récolte mécanique, congélation-décongélation, broyage, malaxage, etc.), on assiste à la dégradation de ces enveloppes protectrices ce qui favorise la prolifération microbienne.
Certains produits alimentaires, comme le lait, n’ont pas de structure cellulaire et sont donc plus vulnérables que les autres.
Effet du pH sur le développement des microorganismes
En solution aqueuse, on définit le pH de la manière suivante :
pH = – log [H+]
Lorsqu’un acide est ajouté à l’eau, la concentration en ions hydrogène [H+] augmente et est supérieure à la concentration des mêmes ions dans l’eau pure. Ainsi, plus la solution est acide (plus la concentration en ions H+ est élevée), plus le pH est faible, et réciproquement. La valeur de pH peut varier de 0 à 14 ; la valeur 7 correspond à un pH neutre (pH de l’eau pure).
Les microorganismes peuvent se développer sur une large gamme de pH allant de 2 à 11. Cependant, la résistance microbienne au pH est très variable et diffère d’un groupe microbien à l’autre (Tableau 1). En fonction de leur pH optimum de croissance, on classe les microorganismes en trois groupes :
- Acidophiles : Microorganismes ayant un pH optimum de croissance entre 0 et 5,5.
- Neutrophiles : Microorganismes ayant un pH optimum de croissance entre 5,5 et 8.
- Alcalophiles : Microorganismes ayant un pH optimum de croissance entre 8 et 11,5.
Le tableau ci-après illustre les pH limites de croissance de quelques microorganismes.
Microorganismes | pH min. | pH optimum | pH max. |
---|---|---|---|
Bactéries | 4,5 | 6,5 à 7,5 | 9 |
Bactéries acétiques | 4 | 5,4 à 6,3 | 9,2 |
Bactéries lactiques | 3,2 | 5,5 à 6,5 | 10,5 |
Pseudomonas | 5,6 | 6,6 à 7 | 8 |
Entérobactéries | 5,6 | 6,5 à 7,5 | 9 |
S. typhi | 4 – 4,5 | 6,5 à 7,2 | 8 – 9,6 |
E. Coli | 4,3 | 6 à 8 | 9 |
Staphylococcus | 4,2 | 6,8 à 7,5 | 9,3 |
Clostridium | 4,6 – 5 | 9 | |
C. botulinum | 4,8 | 8,2 | |
C. perfringens | 5,5 | 6 à 7,6 | 8,5 |
Bacillus | 5 – 6 | 6,8 à 7,5 | 9,4 – 10 |
Levures | 1,5 – 3,5 | 4 à 6,5 | 8 – 8,5 |
Moisissures | 1,5 – 3,5 | 4,5 à 6,8 | 8 – 11 |
Les bactéries, d’une manière générale, se développent mieux sur des milieux dont le pH est proche de la neutralité (6 à 7,5). Certaines bactéries, comme les bactéries lactiques et les bactéries acétiques, peuvent se développer même à des pH inférieurs à 4.
La diminution du pH affecte aussi la thermorésistance des spores ; on considère qu’en dessous de pH 4,5 , la thermorésistance des spores bactériennes est nulle.
Les levures et moisissures sont généralement acido-résistants ; leur pH optimum de croissance se situe entre 4 et 6 avec des valeurs extrêmes de 2 à 9 pour les levures et 2 à 11 pour les moisissures.
En fonction du pH, on divise les produits alimentaires en produits faiblement acides ayant un pH supérieur à 4,5 et les produits acides ayant un pH inférieur à 4,5. Cette classification est basée sur le fait que les germes pathogènes ne peuvent se développer dans les aliments ayant un pH au-dessous de 4,5.
La stabilisation des produits acides ne nécessite qu’un faible traitement thermique pour les débarrasser des germes d’altération (levures, moisissures, bactéries lactiques et acétiques). Par contre, les produits alimentaires faiblement acides nécessitent, pour leur stabilisation, un traitement de stérilisation pour les débarrasser des germes pathogènes et d’altération, y compris les spores bactériennes.
Le pH des aliments dépend des quantités de substances acides ou basiques présentes, mais aussi de l’effet tampon du produit, lequel est surtout lié à la teneur en protéines. Les produits d’origine végétale sont souvent acides (pH de 2 à 5), alors que les produits d’origine animale ont généralement un pH proche de la neutralité (6 à 7). Ce pH joue un rôle déterminant dans la spécificité de la flore microbienne de chaque produit.
Dans un autre cours, vous pouvez apprendre davantage sur la conservation des aliments par réduction du pH.
Effet de l’activité de l’eau sur le développement des microorganismes
L’activité de l’eau (aw) indique la disponibilité de l’eau d’un milieu pour des réactions chimiques, biochimiques, un changement d’état ou un transfert au travers d’une membrane semi perméable.
L’activité de l’eau (aw) correspond au rapport entre la pression de vapeur d’eau de l’aliment (pression de vapeur d’eau à la surface du produit) et la pression de vapeur de l’eau pure à la même température θ°.
Les bactéries ne peuvent se développer sur les produits alimentaires ayant une aw inférieure à 0,90. Les moisissures et les levures sont inhibés respectivement vers une aw de 0,7 et 0,8 sauf certaines moisissures et levures osmophiles qui peuvent se développer jusqu’à des aw de 0,6. Dans la plupart des cas, l’aw limite de croissance d’un microorganisme est inférieure à l’aw limite nécessaire pour la production de sa toxine.
Les valeurs minimales en activité de l’eau (aw) exigées par quelques microorganismes sont rassemblés dans le tableau 2 ci-après.
Microorganismes | Aw |
---|---|
Bactéries | 0,91 |
Clostridium botulinum E | 0,97 |
C. botulinum A, B | 0,95 |
C. perfringens | 0,97 |
Escherichia coli | 0,95 |
Salmonella sp | 0,95 |
Staphylococcus aureus | 0,86 |
Bactéries halophiles | 0,75 |
Levures | 0,87 |
Saccharomyces cerevisiae | 0,9 – 0,94 |
Levures osmophiles | 0,62 |
Moisissures | 0,7 |
Fusarium | 0,9 |
Mucor | 0,8 – 0,9 |
Aspergillus clavatus | 0,85 |
Aspergillus flavus | 0,78 |
Penicillium expansum | 0,85 |
Moisissures xérophiles | 0,7 |
Les produits alimentaires frais (fruits, légumes, viandes, etc.) ont généralement une aw de 0,97 à 0,99. Ils sont donc un milieu favorable pour le développement de tous les microorganismes à moins qu’ils existent d’autres facteurs qui limitent leur croissance. C’est le cas, par exemple, des fruits et légumes qui ont généralement un pH acide favorisant le développement d’une flore fungique (levures et moisissures).
Sur les produits alimentaires ayant une faible aw, comme le pain et pâtisseries, on constate généralement le développement des moisissures.
Sur les préparations très salés (anchois salés, …), on peut assister au développement des bactéries halophiles (Halobacterium, Halococcus). Ces dernières se développent même à des activités d’eau de 0,75 et exigent des concentrations en NaCl de 12 à 15%. Quoiqu’elles ne soient pas pathogènes, ces bactéries peuvent être à l’origine d’altération microbienne de ces aliments.
Dans un aliment, une activité d’eau de 0,7 est considérée comme une limite inférieure présentant toutes les garanties de stabilité microbienne. Cependant 0,91 est une limite en dessous de laquelle le développement des microorganismes est très fortement freiné. C’est cette limite qui a été retenue par les directives européennes pour la conservation des aliments à température ambiante ; elle est même relevée à 0,95 à condition toutefois qu’elle s’accompagne d’un pH inférieur ou égal à 5,2.
Dans un autre cours, vous pouvez apprendre davantage sur la conservation des aliments par réduction de l’activité de l’eau.
Effet du potentiel d’oxydoréduction et l’oxygène sur le développement des microorganismes
Le potentiel d’oxydoréduction (Eh exprimé en volt) mesure la facilité avec laquelle un milieu perd ou gagne des électrons. Un milieu est oxydant quand il capte des électrons (son Eh est positif) ; et il est réducteur quand il perd des électrons (son Eh est négatif).
Les produits alimentaires sont généralement des milieux réducteurs. Ceci est dû à la présence, dans les aliments, des substances fortement hydrogénées, des radicaux –SH, des sucres réducteurs, ou d’autres composés tels que de l’acide ascorbique (vitamine C) ou des tocophérols (vitamine E). L’effet oxydant d’un aliment est dû essentiellement à la présence de l’oxygène atmosphérique, soit en surface (viandes) ou dans la masse (végétaux : grâce aux parenchymes lacuneux et aux stomates).
En fonction de leurs exigences en oxygène, on classe les microorganismes en quatre catégories :
- Les aérobies stricts (Pseudomonas, Micrococcus, Bacillus) : Sont les microorganismes qui ne peuvent se développer qu’en présence de l’oxygène.
- Les aérobies facultatifs (Entérobactéries, Staphylococcus) : Sont les microorganismes qui peuvent se développer en présence et en absence d’oxygène.
- Les anaérobies stricts (Clostridium, Bactéroïdes, …) : Sont les microorganismes qui ne peuvent se développer en présence de l’oxygène.
- Les micro-aérophiles (Lactobacillus, Streptococcus, …) : Sont les microorganismes qui ne peuvent se développer qu’en présence de quantité faible d’oxygène.
Effet de la température sur le développement des microorganismes
La température est l’un des facteurs les plus importants qui agissent sur la croissance des microorganismes. En effet, chaque microorganisme a un domaine de température optimale favorisant son développement. Des températures situées en dehors de ce domaine gênent sa croissance.
En fonction de leur température optimale de croissance, on classe les microorganismes en plusieurs groupes dont les noms reflètent les divers domaines de tolérance thermique :
Psychrophiles et psychrotrophes
Les psychrophiles (Bacillus psychrophilus, Chlamydomonas nivalis, …) sont des microorganismes qui se développent à des températures allant de 0 à 20°C avec un optimum à 15°C. Ce sont des microorganismes vraiment adaptés au froid ; on les rencontre peu dans le domaine de l’alimentaire mais plutôt dans les régions froides (comme les régions polaires).
Les microorganismes appartenant au groupe des psychrotrophes sont capables de se développer dans la plage de température allant de 0 à 35°C avec un optimum de croissance de 20 à 35°C. C’est un groupe intermédiaire entre les psychrophiles et les mésophiles, et il est responsable des altérations microbiennes des aliments réfrigérés.
Le groupe des psychrotrophes est représenté par de nombreuses bactéries dont les principaux genres sont Pseudomonas, Alcaligenes, Erwinia, Corynebacterium, Flavobacterium, Lactobacillus et Streptomyces. Notons aussi que les levures et moisissures sont pour la plupart psychrotrophes.
Mésophiles
Les mésophiles se multiplient à des températures allant de 20 à 40°C avec un optimum à 37°C. On les retrouve sur les aliments conservés à température ambiante ou dans les aliments réfrigérés lorsque la chaîne du froid a été rompue.
Les principaux genres et espèces bactériennes appartiennent au groupe des mésophiles. Ce sont les espèces communes et les espèces pathogènes pour l’homme et l’animal ; ils sont pour la plupart des saprophytes naturels.
Exemples de mésophiles : Escherichia coli, Salmonelles, Staphylocoques, Campylobacter, etc.
Thermophiles
Les thermophiles sont les microorganismes qui se développent dans des températures allant de 40 à 65°C avec un optimum à 55°C. On les retrouve dans le sol, l’eau et même dans les sources thermales. En milieux alimentaires, ils sont représentés surtout dans les genres bactériens Bacillus et Clostridium et certaines moisissures (Aspergillus, Cladosporium).
Les thermophiles sont souvent sporulant et se répartissent en deux groupes selon la température permettant la germination des spores :
- Les thermophiles obligatoires : si leur spores ne peuvent germer et se développer en dessous de 50°C.
- Les thermophiles facultatifs : si leur spores peuvent germer et se développer à des températures en dessus et en dessous de 50°C.
Parmi les thermophiles obligatoires, certains peuvent se développer jusqu’à une température de 77°C et leur spores peuvent survivre plusieurs minutes à 121°C.
Dans un autre cours, vous pouvez apprendre davantage sur la conservation des aliments par traitement thermique.
Effet des substances inhibitrices sur le développement des microorganismes
Les inhibiteurs de la croissance des microorganismes sont des molécules antimicrobiennes qui se trouvent naturellement dans certains aliments (végétaux, animaux), produites par certains microorganismes ou ajoutées volontairement par l’homme pour la conservation des aliments. Dans ce dernier cas, ce sont considérées comme additifs.
Certaines substances antimicrobienne ont une actions spécifiques sur certains microorganismes (bactéricides, fongicides), alors que d’autres ont un spectre d’action beaucoup plus large.
Le lysozyme, qui se trouve naturellement dans les œufs et le lait, a une activité spécifiquement antibactérienne. Alors que le gossypol (antioxydant présent dans les graines de coton) et les huiles essentielles ont un spectre plus large ; ils agissent comme antibactériennes et antifongiques.
Parmi les produits de la fermentation microbienne, on trouve l’acide lactique et l’acide acétique qui ont une activité bactérienne assez large. Ces substances sont aussi produites par synthèse chimique et sont utilisées comme additifs.
La gamme des substances utilisées comme additifs est très variée, de compositions chimiques et de modes d’action hétérogènes. Parmi ces additifs on peut citer :
- Les nitrates et nitrites de sodium et de potassium (NaNO3, KNO3, NaNO2, KNO2) qui sont connues pour leur action inhibitrice sur le Clostridium ;
- L’anhydride sulfureux (SO2) et les sulfites (Sulfite de sodium Na2SO3 ; Bisulfite de sodium NaHSO3 ; Disulfite de sodium Na2S2O5 ; Disulfite de potassium K2S2O5 ; Sulfite de calcium CaSO3,2(H2O)) qui sont connues pour activité inhibitrice surtout sur les bactéries et moisissures.
- L’acide propionique qui est particulièrement actif contre les moisissures. L’acide propionique est aussi un produit de fermentation qu’on trouve naturellement dans les fromages à pâte cuite ;
- Anhydride carbonique (CO2) ; Peroxyde d’oxygène ou eau oxygéné (H2O2) ; etc.
Effet combiné de plusieurs paramètres sur le développement des microorganismes
Dans un milieu complexe comme les aliments, la croissance des microorganismes n’est pas soumise à un seul facteur mais plutôt à plusieurs paramètres endogènes (pH, aw, présence des inhibiteurs, facteurs de croissance, etc.) et exogènes (température, humidité, etc.). Il est donc utile de considérer l’effet combiné de l’ensemble des paramètres sur le développement des microorganismes.
L’exploitation de l’effet combiné de plusieurs paramètres permet de maîtriser mieux la qualité microbiologique de l’aliment et l’orientation du métabolisme microbien.