C’est quoi l’altération des aliments
Les réactions d’altération des aliments (dégradation des aliments) représente l’ensemble des mécanismes qui affectent la salubrité des denrées alimentaires.
Les denrées alimentaires peuvent subir des réactions d’altération (réactions de dégradation) divers durant toutes les étapes impliquées dans leur production à partir du champ jusqu’au consommateur. Ces dégradations, qui sont de nature physique, chimique, enzymatique et/ou microbiologique, dépendent de plusieurs facteurs :
- La nature et l’état de l’aliment (frais ou transformé).
- Les conditions de récolte, de manutention, de transformation, de conditionnement, de stockage et de commercialisation de l’aliment.
Les principales réactions d’altération (réactions de dégradation) de nature chimique des aliments sont : le brunissement enzymatique, le brunissement non enzymatique, l’oxydation des lipides et l’hydrolyse enzymatique des constituants des aliments comme les lipides et les glucides.
Les réactions d’altération des aliments (réactions de dégradation des aliments) sont généralement indésirables dans la mesure où elles aboutissent à l’altération de l’aliment en modifiant ses caractéristiques organoleptiques et nutritionnelles. Dans d’autres cas, certains de ces réactions sont recherchés pour donner à l’aliment la couleur et le goût désirés ; c’est le cas par exemple de la réaction de Maillard.
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Brunissement enzymatique
L’une des réactions d’altération des aliments les plus importantes en agroalimentaire est la réaction de de brunissement enzymatique.
Le brunissement enzymatique correspond à la conversion des composés phénoliques en polymères colorés, le plus souvent bruns ou noirs qui sont désignés mélanines. Ce brunissement entraîne aussi la dégradation de la vitamine C.
Mécanisme du brunissement enzymatique
Les cellules végétales renferment de nombreux substrats phénoliques comme la tyrosine, l’acide chlorogénioque, le pyrocatéchol, etc. Sous l’action d’enzymes (polyphénoloxydase, peroxydases) et en présence d’oxygène, ces composés phénoliques s’oxydent facilement en quinones. Les quinones formées s’oxydent à leur tour, sans faire appel à des enzymes particulières, et se polymérisent en donnant des composés bruns qui sont responsables du brunissement superficiel ou profond apparaissant en diverses circonstances (épluchage, découpage, broyage, etc.).
Les organes végétaux ne brunissent que si leurs tissus sont blessés ou si leur métabolisme est profondément perturbé. En effet, dans les cellules saines, les composés phénoliques sont localisés dans la vacuole alors que les enzymes d’oxydation sont localisés dans le cytoplasme. La membrane qui sépare la vacuole du cytoplasme empêche tout contact entre les enzymes et leurs substrats : l’oxydation de ces substrats n’a donc pas lieu.
En revanche, quand les cellules sont blessées, tous leurs constituants se trouvent mélangés. La réaction d’oxydation des composés phénoliques se produit alors, à condition que de l’oxygène soit présent : des brunissements apparaissent. Par ailleurs, tout dysfonctionnement cellulaire ou trouble physiologique conduisant à une modification de la perméabilité des membranes risque aussi de se traduire par des brunissements.
Contrôle ou prévention du brunissement enzymatique
Le contrôle ou prévention du brunissement enzymatique peut être réalisé de trois façons. La première repose sur l’inhibition des enzymes polyphénoloxydases, la deuxième repose sur le piégeage des quinones et la troisième repose sur la limitation de la disponibilité de l’oxygène.
Inhibition des polyphénoloxydases
Les polyphénoloxydases sont des métalloenzymes contenant environ 0,2% de cuivre qui joue le rôle de coenzyme. Elles sont actives entre un pH de 5 à 7. Leur inhibition est réalisée en procédant à une acidification du milieu, à un traitement thermique ou par l’utilisation des additifs.
Les techniques les plus souvent utilisées pour prévenir les brunissements enzymatiques sont l’acidification et le blanchiment. Une diminution du pH à une valeur proche de 3 ou une courte exposition à des températures de 70 à 90 °C (blanchiment) suffit en général pour obtenir une inactivation partielle ou totale des enzymes.
Il est également possible d’utiliser des additifs afin de limiter l’activité des polyphénoloxydases. Ces additifs sont principalement :
- des composés qui démobilisent les ions Cu2+ associées au polyphénoloxydase (NaCl, CaCl2),
- des inhibiteurs compétitifs : acides organiques à noyau aromatique (acide benzoïque et cinnamique),
- les sulfites qui sont des inhibiteurs puissants du brunissement enzymatique. L’inhibition de l’activité des polyphénoloxydases par les sulfites est complexe : l’inhibiteur dénature partiellement l’enzyme en se complexant avec la protéine ce qui entraîne des modifications de structure. Bien que limitant efficacement les brunissements et possédant des propriétés antioxydantes et antifongiques, l’utilisation des sulfites est cependant très réglementée.
Réduction et piégeage des quinones
D’autres réactifs peuvent également être utilisés pour inhiber le brunissement. Ce sont les composés qui réagissent avec les quinones comme par exemple: l’acide ascorbique, la cystéine, les thiols et les bisulfites. Ces composés réduisent les quinones en phénols et retardent ainsi la réaction de brunissement.
Réduction de la pression d’oxygène
Le brunissement enzymatique nécessite de l’oxygène. Ainsi la réduction du brunissement peut être obtenu par le maintien des produits alimentaires en atmosphère dépourvue ou fortement appauvrie en oxygène. C’est pourquoi l’enrobage ou l’immersion des aliments sont parfois utiles pour ralentir le brunissement enzymatique.
Réaction de Maillard
La réaction de Maillard est également connue sous le nom de brunissement non enzymatique, quoique ce dernier regroupe d’autres réactions de brunissement comme la caramélisation. Quoiqu’elle est classée comme réaction d’altération des aliments, la réaction de Maillard est très recherchée en industrie agroalimentaire. C’est grâce à cette réaction que les fabricants d’aliments puissent donner aux aliments la couleur et la flaveur recherchée.
La découverte de la réaction de Maillard remonte à 1912 par Louis-Camille Maillard. Alors qu’il travaillait sur la synthèse de protéines par chauffage, il obtint par hasard des substances aromatiques et colorées qu’il identifia comme des mélanoïdines, polymères bruns responsables de la couleur et de la saveur de nombreux aliments (croûte du pain, café et chocolat torréfiés, bière, etc.).
La réaction de Maillard est l’ensemble des interactions résultant de la réaction initiale entre un sucre réducteur et un groupement aminé (acides aminé, peptide, protéine). Elle a lieu lors du stockage des aliments ou plus fréquemment lors de leur exposition à des traitements thermiques.
La réaction de Maillard a une importance énorme dans la chimie des aliments. Elle est la responsable principale de la production des odeurs, des arômes et des pigments caractéristiques des aliments cuits. L’apparition d’une couleur brune distincte et d’arômes associés à des aliments rôtis, grillés ou cuits au four est une caractéristique de cette réaction. Elle a pour conséquence le fait que les aliments présentant des goûts ou des arômes peu appétissants lorsqu’ils sont crus peuvent être transformés en produits désirables après avoir subi des traitements thermiques.
La réaction de Maillard peut aussi donner naissance à des composés cancérigènes et également réduire la valeur nutritionnelle des aliments en dégradant des acides aminés essentiels et la vitamine C. In vivo, elle intervient dans les processus de dégradation du collagène.
Chimie de la réaction de Maillard
On peut subdiviser la réaction de Maillard en trois étapes principales. La première conduit à la formation réversible de glycosylamines qui se réarrangent selon les réarrangements d’Amadori ou de Heyns. La seconde étape correspond à la dégradation des produits des réarrangements d’Amadori et de Heyns. Elle conduit, notamment, à la formation de composés hétérocycliques responsables des odeurs. La troisième étape correspond à la polymérisation d’intermédiaires réactionnels produits lors de la deuxième étape, et aboutit à la formation des mélanoïdines.
La température, le temps de la réaction, la teneur en eau ainsi que la concentration et la nature des précurseurs influencent la réaction de Maillard.
Etape 1 : Réarrangements d’Amadori et de Heyns
La première étape de la réaction de Maillard fait partie d’un large spectre de réactions appelées réactions carbonyles- amines. Ces réactions interviennent dans un certain nombre de processus enzymatiques et biologiques tels que la vision, le vieillissement et la détérioration des tissus.
La réaction de Maillard est initiée par la réaction entre la forme ouverte d’un sucre réducteur (glucose, ribose, fructose, xylose, etc.) et un groupement aminé (acides aminé, peptide, protéine). Elle aboutit à la formation d’une base de Schiff qui existe en équilibre avec un acide glycosylamine (Figure 1).
Les réactions de formation de base de Schiff sont réversibles ; en milieu fortement acide, le sucre et l’acide aminé peuvent se régénérer totalement. Toutefois, la base de Schiff subit lentement un réarrangement pour produire un dérivé stable. La nature de ce dérivé est variable et dépend du sucre réducteur de départ. Les aldoses suivent le réarrangement d’Amadori pour produire des cétosamines (figure 2), tandis que les cétoses subissent le réarrangement de Heyns et produisent des aldosamines (figure 3).
Les produits de réarrangements d’Amadori et de Heyns sont des composés relativement stables qui, dans certains aliments comme le lait, et sous des conditions douces de chauffage, peuvent représenter l’étape ultime de la réaction de Maillard. Ces produits, bien que ne contribuant pas à la formation des pigments et des flaveurs dans l’aliment, réduisent la disponibilité d’acides aminés essentiels.
Etape 2 : Dégradation des produits de réarrangements d’Amadori et de Heyns
Cette étape est plus complexe que la première car elle est composée de plusieurs réactions. Toutefois, trois voies se distinguent : deux selon le pH, et une troisième de scission des aldosamines ou des cétosamines.
La première voie est appelée déshydratation modérée (Figure 4). Elle est favorisée aux pH neutres et légèrement alcalins. Elle consiste en une énolisation irréversible entre les carbones 2 et 3 du cétosamine (ou aldosamine) et une perte du résidu aminé. Le composé intermédiaire, 1-méthyl-2,3-dicarbonyle, est une réductone (dicétone) responsable du caractère autocatalytique de la réaction de Maillard via la dégradation de Strecker (Figure 6). Cette réductone se décompose de manière complexe en une grande variété de composés à fonction mono- et di-carbonyle : furanones, cyclopentanones, isomaltols.
La deuxième est appelée déshydratation forte (figure 5), favorisée par les pH acides. Elle est la principale voie de dégradation des cétosamines. Elle débute par la formation d’un ène-diol entre les carbones 1 et 2 de la glycosylamine. Puis un réarrangement conduit à une double liaison 2, 3 et à la désamination du carbone 1. Ce produit intermédiaire est aussi une réductone participant à la dégradation de Strecker. La perte d’une molécule d’eau donne un composé dicarbonylé insaturé qui, par cyclisation, amène aux furfuraldéhydes, dont fait partie l’hydroxyméthyl-furfural (HMF).
Ces deux premières voies sont suivies par la dégradation de Strecker (figure 6). Cette dernière implique une désamination oxydative et une décarboxylation d’un acide α-aminé en présence d’un réductone. Elle aboutit à la formation d’un aldéhyde (aldéhyde de Strecker) qui correspond à l’acide aminé de départ avec un carbone de moins et à une α-aminocétone. Cette réaction provoque aussi un dégagement de CO2, pouvant former des mousses dans les produits à longue durée de conservation.
Les aldéhydes de Strecker sont des intermédiaires très importants intervenant, lors de la troisième étape, dans la formation des mélanoïdines. Alors que les aminocétones donnent par condensation des pyrazines (figure 7), substances aromatiques que l’on retrouve dans un grand nombre d’aliments cuits tels que la viande rôtie et le café torréfié.
La troisième voie est la scission. Une coupure des cétosamines et des aldosamines obtenues peut conduire à la formation de petites molécules carbonylées ou acides qui, par condensation aldolique, donneront des polymères et autres produits odorants caractéristiques de la réaction de Maillard.
Etape 3 : Polymérisation des intermédiaires réactionnels
Les mélanoïdines qui constituent les pigments bruns des aliments sont produites dans la troisième et dernière étape de la réaction de Maillard. Il s’agit de polymères bruns, de haut poids moléculaire qui contiennent des furanes et de l’azote et qui peuvent contenir des groupes carbonyle, carboxyle, amine, amide, pyrrole, indole, ester, anhydride, éther, méthyle et/ou hydroxyles.
La formation des mélanoïdines est le résultat de la polymérisation de composés très réactifs produits au cours de la deuxième étape et spécialement des composés carbonylés insaturés et le furfural. La polymérisation de ce dernier en présence d’amines donne des pigments bruns insolubles dans l’eau. En plus de leur contribution à la couleur brune des aliments, ces réactions de polymérisation participent au durcissement des aliments cuits et stockés. La chimie de ces réactions est encore peu connue.
Applications de la réaction de Maillard
La réaction de Maillard a été utilisée depuis de nombreuses années pour produire des aliments qui paraissent attractifs pour le consommateur ; et ce aussi bien au niveau de l’apparence qu’au niveau de flaveurs.
L’industrie agroalimentaire applique la réaction de Maillard à de nombreux processus de transformation des aliments de manière à fournir aux consommateurs les flaveurs et les couleurs qu’il désire. Pour ce faire, il est indispensable de pouvoir contrôler cette réaction. Selon les conditions employées, la réaction de Maillard peut conduire à la formation de couleurs ou à une décoloration ; elle peut favoriser la formation de flaveurs agréables ou bien rances, la production de composés antioxydants ou de composés toxiques ou encore elle peut réduire la valeur nutritionnelle des aliments et éventuellement conduire à la formation de substances cancérigènes.
Facteurs influents la réaction de Maillard
Les effets de la réaction de Maillard sont généralement recherchés dans les opérations de cuisson des aliments. Dans d’autres cas, tel que le séchage du lait, cette réaction est indésirable du fait qu’elle est responsable de la modification de la couleur, du goût et de la valeur nutritionnelle du lait en poudre. La connaissance des facteurs influents la réaction de Maillard est essentielle pour l’accélérer ou la ralentir selon l’objectif recherché.
La température et le temps de la réaction, le pH et l’humidité du milieu, la présence de métaux, d’oxygène et d’inhibiteurs ainsi que la nature et la concentration des différents réactifs influencent la vitesse de la réaction de Maillard.
La température est certainement le facteur le plus influent. En effet, la vitesse de la réaction est en moyenne doublée lorsque la température augmente de 10 °C (Z = 33 °C). Pourtant il faut noter que la réaction a lieu même à 4 °C et qu’il faut prendre en compte le couple temps-durée. Le stockage des aliments à des températures inférieurs à 0 °C permet de ralentir la réaction de Maillard.
La réaction est également influencée par le pH du milieu et sa teneur en eau. Elle est optimale dans des pH de 6 à 10 et dans des milieux ayant une humidité relative de 30 à 70 %. Au delà de ces valeurs, la réaction est ralentie.
L’utilisation des inhibiteurs s’avère aussi importante pour ralentir la réaction de Maillard. Les sulfites, par exemple, réagissant sur les composés carbonylés issus des différentes étapes de la réaction de Maillard, forment des sulfonates particulièrement stables et retardent le brunissement non enzymatique.
Réaction de caramélisation
La caramélisation, tout comme la réaction de Maillard, est une réaction de brunissement non enzymatique. Elle se produit lors du chauffage d’un sucre au-delà de son point de fusion (environ 200°C pour le saccharose) en absence de composés azotés. La réaction peut être catalysée par l’ajout d’un acide comme l’acide citrique ou l’acide acétique. Les produits formés au cours de la réaction confèrent au caramel la couleur, l’arôme et le goût caractéristique du produit.
Chimie de la réaction de caramélisation
La réaction de caramélisation peut être subdivisée en deux étapes principales. La première étape correspondant aux réactions de dégradation de sucres entraîne la formation d’aldéhydes et de composés dicarbonylés ; il y a alors apparition de composés non colorés ou jaunes qui absorbent fortement dans les U.V. La seconde est une étape de condensation et de polymérisation qui suit la première étape et aboutit à la formation de produits bruns foncés de masse moléculaire élevée :
- Etape 1 : Les réactions de dégradation lorsqu’on part du saccharose commencent par l’hydrolyse catalysée par l’eau qui joue le rôle d’un catalyseur acide. Les deux hexoses obtenus (glucose et fructose) subissent des réactions de dégradation non spécifiques qui dépendent du pH. En milieu alcalin la dégradation des oses conduit à la formation de pyruvaldéhyde et d’acide lactique. En milieu acide une première étape d’énolisation est vite suivie d’élimination de molécules d’eau et de cyclisation conduisant à trois intermédiaires importants le 5-hydroxyméthyl-furfural (5-HMF), le 2(-2-hydroxyacétyl)-furane et le maltol (Figure 8). Ces molécules constituent une partie de la fraction volatile à l’origine de l’arôme caractéristique du caramel.
- Etape 2 : Les réactions de condensation et de polymérisation sont plus spécifiques. La perte de deux molécules d’eau avec cyclisation donne à partir du saccharose, les dianhydrides de fructose (DAF) (Figure 9), constituants majeurs de la fraction non volatile du caramel (jusqu’à 70%).
Application de la réaction de caramélisation
La réaction de caramélisation est utilisée principalement pour la préparation du caramel. La préparation du caramel utilise des matières premières simples (sucres alimentaires, eau et parfois une goutte d’acide citrique (citron) ou d’acide acétique (vinaigre). Il peut être préparé par la ménagère pour agrémenter desserts et pâtisseries, mais également fabriqué à l’échelle industrielle suivant des procédés thermiques récents tels que la cuisson par induction ou encore le chauffage par micro-ondes. Il y a deux sortes de caramel : le caramel aromatique et le caramel colorant, classés respectivement comme ingrédient ou additif alimentaire.
La caramélisation est considérée comme réaction d’altération des aliments uniquement dans le cas où sa production est non souhaitable dans l’aliment.
Oxydation des lipides
Les principaux facteurs déterminant la durée de vie des lipides sont les réactions d’oxydation. Les substrats de ces réactions sont principalement les acides gras insaturés. Ils s’oxydent en général plus vite lorsqu’ils sont libres et plus insaturés. Les acides gras saturés ne s’oxydent qu’à une température supérieure à 60°C, tandis que les acides polyinsaturés s’oxydent même lors de l’entreposage des aliments à l’état congelé.
Au niveau des tissus vivants, il existe des mécanismes naturels de contrôle de l’oxydation afin de prévenir la destruction oxydative des lipides membranaires, des protéines et des acides nucléiques. Ainsi, il existe une régulation des systèmes pro-oxydants et anti-oxydants qui permettent de maintenir la balance entre les facteurs impliqués dans les réactions d’oxydation. La régulation des facteurs pro- et anti-oxydants est perturbée à la mort des cellules animales ou végétales et durant les processus de transformation et de stockage des aliments, ce qui favorise le développement des réactions d’oxydation.
Les facteurs qui influencent, ou qui initient, l’oxydation des lipides sont nombreux. Il s’agit de facteurs intrinsèques tels que la composition en acides gras des lipides (nombre et position des insaturations), la présence de pro-oxydants (ions métalliques, enzymes, etc.) ou d’antioxydants naturels (tocophérols, caroténoïdes, etc.) et des facteurs externes tels que la température, la lumière, la pression partielle en oxygène, l’activité de l’eau, les conditions de stockage et de transformation.
En fonction des agents initiateurs, on classe l’oxydation des lipides en 3 types :
- l’auto-oxydation catalysée par la température, les ions métalliques et les radicaux libres ;
- la photo-oxydation, initiée par la lumière en présence de photosensibilisateurs et
- l’oxydation enzymatique initiée par la présence des enzymes d’oxydation.
Les principaux problèmes posés par l’oxydation des lipides résident dans la dégradation des propriétés biochimiques, organoleptiques (formation de composés volatils d’odeur désagréable : rancissement) et nutritionnelles (par interaction des produits d’oxydation avec les acides aminés) de l’aliment. L’oxydation des lipides conduit également à la formation des peroxydes qui sont des molécules cancérigènes.
Auto-oxydation
L’oxydation des lipides est une réaction auto-catalytique. Il s’agit d’un enchaînement de réactions radicalaires se déroulant en trois étapes. Une première réaction produit un radical libre par élimination d’un hydrogène de l’acide gras (initiation). Puis les réactions s’enchaînent pour produire plusieurs radicaux libres (propagation) qui se combinent pour former des composés non radicalaires (terminaison).
- Initiation (figure 10) : En présence d’un initiateur (I), les lipides insaturés (RH) perdent un proton (H°) pour former un radical libre de lipide (R°). L’arrachement du proton est facilité tant par la chaleur (agitation moléculaire) que par les rayonnements ou les catalyseurs (métaux tels que Cu, Fe, Co, Mn, Ni…).
- Propagation (figure 11) : Les radicaux libres formés (R°) fixent l’oxygène moléculaire et forment des radicaux libres peroxydes instables (ROO°) qui peuvent réagir avec une nouvelle molécule d’acide gras (RH) pour former des hydroperoxydes (ROOH).
- Terminaison (figure 12) : Les radicaux formés réagissent entre eux pour conduire à un produit qui n’est pas un radical libre.
Les hydroperoxydes, les premiers produits de l’oxydation des lipides sont instables. Ils vont donc rentrer dans une série de réactions complexes qui vont aboutir à une myriade de composés ayant des poids moléculaires variables. A ce stade, le goût de la matière grasse est altéré et on parle de rancissement.
Photo-oxydation
La photo-oxydation est une voie importante de production d’hydroperoxydes en présence d’oxygène, d’énergie lumineuse et de photosensibilisateurs tels que les hémoprotéines, la chlorophylle ou la riboflavine.
Les photosensibilisateurs (Sens) absorbent l’énergie lumineuse et passent à l’état triplet excité (Sens3). Ils interviennent dans l’oxydation des lipides selon deux types de mécanismes :
- Les photosensibilisateurs de type I, telle que la riboflavine, agissent comme des radicaux libres initiateurs. Dans leur état triplet, elles arrachent un atome d’hydrogène ou un électron aux molécules lipidiques pour former un radical capable de réagir avec l’oxygène (1).
Sens3 + RH —› Sens H + R° (1)
- Selon le second mécanisme, les molécules photosensibles de type II, telles que la chlorophylle et l’érythrosine, réagissent dans leur état excité (Sens3) avec l’oxygène triplet auquel elles transfèrent leur énergie pour donner de l’oxygène singulet (1O2) (2).
Sens3 + 3O2 —› 1O2 + Sens (2)
L’oxygène singulet ainsi formée est très électrophile et peut réagir directement sur un acide gras insaturé (RH) formant ainsi un hydroperoxyde (ROOH) (3).
1O2 + RH —› ROOH (3)
Par la suite interviennent les réactions radicalaires en chaîne de l’auto-oxydation. Les hydroperoxydes ainsi formés sont différents de ceux formés par autooxydation.
Oxydation enzymatique
Le phénomène d’oxydation des acides gras insaturés peut être d’origine enzymatique. Les deux enzymes principalement impliquées sont la lipoxygénase et la cyclooxygénase.
La lipoxygénase catalyse l’insertion d’une molécule d’oxygène sur un acide gras insaturé selon une réaction stéréospécifique et aboutit à la formation d’hydroperoxydes. Elle agit spécifiquement sur les acides gras non estérifiés. Son activité est donc souvent couplée avec celle des lipases et des phospholipases.
La cyclooxygénase est une lipoxygénase qui incorpore deux molécules d’oxygène au niveau d’un acide gras insaturé pour former des hydroperoxydes spécifiques.
L’oxydation enzymatique se produit même à basse température. Durant le stockage à l’état congelé l’activité enzymatique est ralentie. Cependant, une fois la décongélation amorcée et des températures de 0°C à 4°C atteintes, cette activité reprenne et s’accentue. A -40 °C, l’oxydation enzymatique des lipides est complètement arrêtée.
Facteurs influents l’oxydation des lipides
Les principaux facteurs impliqués dans l’oxydation des lipides au cours des procédés de transformation et de conservation des aliments sont : la température, le pH, l’activité de l’eau et la pression partielle en oxygène.
Une élévation de température favorise l’oxydation des lipides. L’oxydation des lipides est d’autant plus rapide que la température est importante. Ainsi, les opérations de cuisson sont bien connues pour avoir un effet pro-oxydant marqué. Au contraire, la congélation est un bon moyen pour augmenter la durée de conservation des aliments, car la vitesse d’oxydation des lipides est notablement réduite à faible température.
Le pH influence le déroulement de l’oxydation par le biais de plusieurs mécanismes :
- Premièrement, pour les réactions d’oxydo-réduction faisant intervenir des protons (H+) le potentiel redox décroît linéairement avec le pH. Un pH acide favorise donc la réaction d’oxydation, en particulier quand des espèces pro-oxydantes (ions des métaux de transition) ou antioxydantes (acide ascorbique par exemple) solubles en phase aqueuse sont présentes.
- Le pH intervient également dans la solubilité des composés impliqués dans l’initiation de la réaction. Ainsi, plus le pH est bas, plus la solubilité et le potentiel redox de ces ions métalliques, et donc leur réactivité vis à vis des molécules oxydables sont élevée. Dans le cas des tissus musculaires, un pH bas favorise la dénaturation des hémoprotéines et la libération du fer qui est un agent pro-oxydant.
L’activité de l’eau d’un système influence les réactions d’oxydation des lipides. En effet, l’eau permet la mobilisation des substances pro-oxydantes ou antioxydantes. En général, une aw comprise entre 0,2 et 0,3 correspond aux vitesses d’oxydation les plus faibles. Ces valeurs correspondent à la formation d’une couche monomoléculaire d’eau autour des constituants. Une aw comprise entre 0,6 et 0,8 correspond aux vitesses d’oxydation les plus grandes. Une très faible activité de l’eau est également favorable à l’oxydation. Par contre, les réactions d’oxydation enzymatique des lipides sont fortement ralentie quand l’activité de l’eau est inférieure à 0,7-0,8.
La concentration d’oxygène (pression partielle en oxygène) dans l’espace environnant le produit et dans le produit lui-même influence la vitesse d’oxydation des lipides. Elle intervient également au niveau de la nature des produits secondaires formés par décomposition des hydroperoxydes. Son incidence est donc à la fois sur la durée de conservation du produit et sur la nature des odeurs perçues quand le produit est oxydé.
La relation entre vitesse d’oxydation et pression partielle en oxygène dépend de plusieurs facteurs comme l’activité de l’eau, la température, la nature des catalyseurs. Quand la concentration en oxygène est suffisamment élevée, la vitesse d’oxydation est indépendante de cette concentration. Inversement, quand la concentration d’oxygène est suffisamment faible, la vitesse d’oxydation est indépendante de la concentration en substrat et directement proportionnelle à la concentration d’oxygène. Pour les concentrations intermédiaires, la vitesse d’oxydation dépend à la fois des concentrations en oxygène et en substrat.
Le contrôle ou l’inhibition de l’oxydation des lipides est basée sur la maîtrise de ces paramètres : température, pH, aw, concentration en oxygène. L’action sur plusieurs paramètres en même temps permet d’augmenter ou de réduire davantage la vitesse de l’oxydation.
L’utilisation des antioxydants (tocophérols, polyphénols, flavonoïdes, vitamine E, vitamine C, etc.) est souvent la méthode la pls courante en industries agroalimentaires pour inhiber l’oxydation des lipides . Les antioxydants utilisées sont soit des agents de prévention qui bloquent la phase d’initiation en réagissant avec les initiateurs de la réaction (O2, lumière, métaux, …), soit des agents de terminaison qui bloquent la poursuite de la phase de propagation en réagissant avec les radicaux libres et les transformant en composés stables.
Lipolyse
La lipolyse intervient au sein des cellules végétales et animales pendant la phase post-récolte (ou post-mortem) au cours de transformation et conservation des aliments. L’hydrolyse des lipides est principalement le fait d’enzymes lipolytiques tissulaires : lipases. Les lipases hydrolysent les liaisons esters des glycérides et libèrent à partir des triglycérides des acides gras, des diglycérides et des monoglycérides.
Ces enzymes restent actives même à une température de stockage de -18°C quoique la cinétique de formation des acides gras libres est ralentie. C’est pourquoi l’hydrolyse enzymatique des lipides constitue la réaction principale d’altération des aliments frais au cours de leur stockage à l’état congelé.
Hydrolyse des glucides
Les hydrolases qui posent des problèmes dans le cas des aliments d’origine végétale sont les enzymes pectiques et les amylases.
Les amylases hydrolysent l’amidon de certains aliments en sucres réducteurs. C’est le cas de la pomme de terre stockée à des températures inférieurs à 5°C. Cette pomme de terre ne se prêtera pas bien à la friture.
Les pectinases dégradent les parois cellulaires des fruits et légumes et entraînent, donc, un ramollissement de ces parois.